Evolis regroupe les acteurs des machines et biens d’équipements. Quelles sont vos principales actions ?
Etienne Wèbre : Evolis suit l’évolution réglementaire, juridique et normative afin de répondre aux besoins de ses adhérents : 600 entreprises, dans un secteur employant 84000 salariés pour 19 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 56% à l’export. Elle a développé sa représentativité au fil des années en incluant des fabricants de pompes, robinets, chariots, élévateurs, machines-outils, robots industriels. C’est un travail de long terme pour inciter les entreprises à venir défendre leurs professions respectives. Nous connaissons tous la puissance de l’industrie allemande avec le VDMA, et pour pouvoir nous en rapprocher, nous avons voulu constituer une organisation professionnelle forte, avec un plus haut niveau d’exportations.
Concrètement, comment Evolis est-elle organisée ?
Etienne Wèbre : Nous avons constitué trois pôles : technique, économique et « affaires publiques ». Sur le plan technique, nous intervenons en amont pour prendre des positions sur la normalisation européenne (EN) ou internationale (ISO), et comprendre l’évolution de la règlementation, en particulier la directive machines qui deviendra un règlement en 2027 et qui s’imposera aux industriels sans transposition nationale. Nous prenons ce virage en associant le monde du travail, les organisations de production et les clients. Le pôle « affaires publiques » est chargé de faire comprendre ce que représente notre industrie, peu visible et composée d’une pyramide de nombreux acteurs, dont beaucoup de très petits acteurs. Les grands groupes tels que Manitou dans le domaine des chariots sont très connus, mais nous devons aussi mettre en avant les petits acteurs, car les innovations viennent aussi d’eux, par exemple sur la fabrication additive ou la fourniture de pièces de rechange. Le pôle économique est, quant à lui, chargé d’agréger les chiffres de nos différentes activités. Cela nous aide à mieux appréhender l’évolution des marchés. Ainsi, nous prévoyons que les prises de commandes des chariots industriels baisseront de 10% en 2024 et que celles des pelleteuses baisseront de 15% en raison de la récession observée dans le secteur de la construction. Nous avons également observé un ralentissement dans le secteur de la robotique en raison des tensions sur les approvisionnements. Nous anticipons encore une année difficile pour la robotique, car nous sommes entrés dans une phase d’investissements moins importants en France.
Comment expliquez-vous ce freinage des investissements ?
Etienne Wèbre : Comme le secteur des semi-conducteurs, celui des machines et des biens d’équipement est lui aussi soumis à des cycles de hausse et de baisse. Après la crise de 2008, nous avons vécu une phase atone jusqu’en 2012. Puis, les investissements dans le numérique ont entraîné une reprise industrielle. Au cours des années 2018-2019, nous avons aussi observé ce phénomène de réinvestissement porté par le numérique et la robotisation des usines. Mais à présent, nous sommes entrés dans une période de baisse conjoncturelle.
Pourriez-vous nous apporter des chiffres précis sur des secteurs ciblés et représentatifs de l’industrie ?
Etienne Wèbre : Notre pôle économique a par exemple analysé les marchés du soudage, de la machine-outil et de la robotique. Le marché français des équipements et des consommables de soudage a résisté aux fluctuations économiques en 2023, maintenant des niveaux proches de ceux enregistrés en 2022. Le secteur a été porté, en particulier, par la bonne dynamique des secteurs de l'énergie, de la défense et de l'aéronautique. En revanche, les hausses des coûts et les difficultés de recrutement demeurent des freins importants pour le secteur. Selon les industriels du secteur, le marché devrait légèrement croitre en 2024. Concernant le secteur de la machine-outil, la plupart des secteurs client clés en France ont enregistré une croissance significative en 2023. Les secteurs qui se démarqueront en 2024 seront l'automobile et l'aérospatial, bénéficiant de l'amélioration des chaînes d'approvisionnement et de carnets de commandes bien remplis en 2023. Cependant, la croissance de ces secteurs ne sera probablement pas suffisante pour éviter un ralentissement de la consommation de machines-outils, qui passerait de +6,7% en 2023 à -2,5% en 2024. Les robots industriels ont enregistré un ralentissement des prises de commandes, entamé à la fin de l'année 2022, et qui s'est confirmé tout au long de 2023. L'opinion des industriels sur l'activité du marché français s'est ainsi dégradée au fil des mois. En 2024, la demande provenant des secteurs de la défense, de l'aéronautique et de la chimie/cosmétique devrait soutenir le marché, qui resterait tout de même en ralentissement par rapport aux années précédentes. À plus long terme, l'essor de la robotique et la forte pénurie de main-d'œuvre devraient stimuler la modernisation et la robotisation de l'industrie française.
Comment expliquer la faiblesse de l’industrie française par rapport à l’industrie allemande et comment pourrait-elle se renforcer ?
Etienne Wèbre : Il faut éveiller une prise de conscience de l’intérêt de la proximité des industriels de la part des grands groupes consommateurs de biens d’équipement, prendre en compte les risques stratégiques majeurs de la délocalisation et instaurer une vraie politique industrielle s’appuyant sur la réindustrialisation. De nombreuses PME disparaissent et nous avons longtemps négligé l’industrie en France. Pourtant, nous avons un certain nombre de start-up prometteuses telles que Scallog, Exotec ou Boa Concept. Nous avons aussi des entreprises dynamiques, innovantes et motivantes dans le domaine du soudage. Nos principaux freins sont notre difficulté à exporter et la myriade de petits acteurs, comparativement à une industrie bien plus dense en Allemagne. Nous avons aussi moins investi dans la formation de techniciens alors que la politique allemande a consisté à rajouter une année supplémentaire de formation pour les techniciens. Enfin, nous prenons du retard dans l’intelligence artificielle et l’électrification. La Chine va exporter ses véhicules électriques en Europe alors que nous ne sommes pas encore prêts à répondre à cette concurrence au plan technologique, car les « gigafactories » récemment mises en place en Europe ont pour le moment été équipées d’équipements d’ancienne génération.
La réglementation européenne ne constitue-t-elle pas également un frein pour l’essor de l’industrie française et européenne ?
Etienne Wèbre : La réglementation européenne peut certes être vue comme une contrainte, mais aussi comme la possibilité d’apporter une valeur ajoutée très élevée, par exemple dans le domaine des batteries au niveau du cycle de vie, de la récupération et du réemploi des matériaux. La réglementation a donc aussi une facette protectrice qui impose aux industriels d’être très innovants.